Affiche © Maxence Roche

NOTE D'INTENTION

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Sentir, Voir, Entendre — Faire entendre la langue par d’autres prismes qu’une parole communicante, rappeler que la parole est un phénomène incroyable dont nous sommes dotés, que les mots ont au-delà de nous et de leur expression un pouvoir qui nous échappe et qui porte la parole devant… 

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Toute naissance commence dans le noir. Puis, lumière ! Le verbe se fait chair, la table est dressée, le banquet peut alors commencer. L’immaculé nous inonde et « les paroles gelées » nous explosent au visage. Les couleurs jaillissent et colorent le monde. Sur scène, le monde est une grande mangeoire autour de laquelle la parole danse une danse mystérieuse. Elle fend l’espace, sculpte l’invisible et nous tâche. Elle est jetée à la face du monde pour ré(ai)sonner. Le temps d’un repas, elle se brise et se renverse. Les corps des acteurs portent en eux les secrets du langage ; ce sont les gardiens immémoriels du verbe. Comme des crayons de couleurs, ils vont peindre avec des mots pour donner matière et force au langage. Le temps d'une représentation, Acteur et Parole s'interpénètrent, se transfigurent. 

Chair Langue est née d’une rencontre textuelle charnelle avec la langue de Valère Novarina. Cette création composée à partir d’extraits de ses pièces est un éloge, une ode faite au langage. À cette heure où sonne le tocsin, d'une nature, d'une Mère qu'on abîme, il me semble alors essentiel de revenir vers notre matrice, Terre, et ce qui se rapproche le plus de la nature chez nous, c’est notre corps. Se tourner vers le corps, c’est faire un peu plus état de notre présence au monde. Et, comme le corps, nous partageons un autre matériau commun : la parole. « Notre chair physique c’est la terre, mais notre chair spirituelle c’est la parole ; elle est l’étoffe, la texture, la tessiture, le tissu, la matière de notre esprit. » Chez Novarina, la parole est agissante. Elle a un pouvoir physique sur nous : le pouvoir de toucher, que l’on se sente touché, d’être touché, quelque part, par nos sens, dans notre jardin intérieur, « jardin de reconnaissance ». Les sens sont primaires, naïfs, simples néanmoins ils livrent une vérité bien réelle, accessible à tous, dans chaque jardin, chaque coeur. C’est pour cela que je viens dresser sur scène un banquet de la parole, offrir un temps pour se réunir autour de cette gargantuesque cérémonie. Rassembler les gens — les spectateurs — autour du corps parlant. Il s’agit pour moi, dans cette pièce, de donner à la langue un pouvoir expressif autre que communicationnel mais plus de l’ordre de la communion. La mission que je poursuis comme quête incessante, c’est de rappeler au monde qu’il a un corps. À travers un théâtre de chair et d’os, Chair Langue c’est une invitation que je mets au monde pour lui donner une deuxième naissance, c’est aussi un appel pour que hommes et femmes reprennent contact avec leur propre corps et recouvrent cette présence, d’être(s) au monde. 

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« Rangeons le monde pour le penser : mangeons mourir, mangeons dormir, mangeons parler. »

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Morgane Roche